samedi 27 septembre 2008

La balade de la femme du soldat

C’est la balade de la femme du soldat.
Un trou  au côté droit, elle erre dans le tumulte des voix qui se sont tues, des bouches qui se closent d’avoir tant crié sous les nuées de boue qui leur servait de breuvage.

C’est la balade des corps sans vie.
Une plaie ouverte sans trace de balle, des larmes sèches des éclats vrombissants, qui auraient semé sur le champ de sa vie de telles batailles …

C’est la saveur des pluies noires tombant sur les décharnés comme tomberait la feuille de l’arbre pour écraser de son poids le bourgeon à peine éclos.

Et ainsi va la vie, ses grandeurs d’âme et ses miséricordes de pacotille.

Flâne l’étoile sans terre pour ses pas, vole l’oiseau sans ciel pour ses ailes, voit l’aveugle sans pupille pour son regard et va l’humain sans cœur pour vaquer à ses vagues.

Telle une ombre par-dessus le toit je démarche ma voix au son des notes sans mélodie meurtrissant mon front devenu chaud à la chaleur de la lumière blanche de mon plafond. Ce soir est un matin où la nuit m’accompagne, je bois mon temps en salissant d’autres pages que celles que je défleure en mon impassible ennui. Je brouillonne des tas de riens qui s’accumulent en un néant assourdissant de danses slaves sur lesquelles aucun voile n’orne l’épaule de la danseuse et aucune main ne vient déranger les cordes de l’instrument.

Que dire de la balade de la femme du soldat ?
Un enfant par la main, un autre en son sein qui rejoindra son géniteur par faute de ne pouvoir jamais l’appeler Papa, femme sans nom, reniant sa terre, femme sans patrie, sans mari, femme sans mémoire dont le chagrin épargne le souvenir, que dire de la marche de cette femme sans regard ni visage qui flotte en une symphonie de tout instant sans saveur ni valeur, sans plus aucune attente ni possible détente, que dire de ses pierres contre lesquelles l’enfant s’écorche le pied, que dire mais que dire des pleurs du nouveau-né sacrifié avant même sa mise au monde ?

Que dire alors du monde et de ses peurs, de ses cris d’ivresse et de ses plaintes  agonisantes de froideur ?
Mon corps n’est-il pas assez mort pour que le fer vienne y rougir le cœur en son contour ?
Gerbe de fleurs, gerbe de sœurs désormais orphelines, fratrie commettant l’infanticide, tendresse à jamais nulle des mains qui ne trouveront leur appui qu’en le vide de l’absence, monotonie de l’insomnie du dormeur solitaire reposant sous l’arche aux quatre colonnes, il est l’insignifiant de l’œuvre de l’Insignifiance, le gigantisme de la microscopie de la grandeur d’armes, faiseur de biens, pilleur de mâles, le cœur de la femme pleure et je l’entends du fond de son silence qui s’émeut et aboie aux quatre coins des saisons que jamais plus elle ne passera entre ses bras, devenus lestes et inanimés de s’être engagé contre l’aiguille et la paresse inassouvie des heures de lassitude du bonheur non remarqué, tant habitué dans la trotteuse.
Elle est cette aiguille marquant le pas, ouvrant la marche à la chute de l’esprit.
Elle est là, tenant un enfant par la main, un châle couvrant sa chevelure, l’abdomen comme nié, une larme au coin des yeux, un trébuchement dans l’inconnu, ce sont quatre âmes qui s’éteignent en la mort d’un soldat nu, en l’honneur d’une balle perdue.

mercredi 3 septembre 2008

Marche arrière

Nous étions là, tous deux, accoudés sur le rebord de la fenêtre. L'eau venait nous toucher du doigt avant de s'éteindre au sol, nous caressant humidement, nous glaçant les os.

Il faisait chaud, sa main dans la mienne, le regard perdu au loin entre les avancés d'ombres, rideau funeste d'une danse macabre, on aurait dit des fantômes accusant leur pénitence, ils marchent tête basse et s'entrechoquent telles des vagues sur les falaises. Ils paraissaient morts, se muant à travers cordes, pendus sans tête, vivant sans rythme autre que celui du vent, écoutant le tracé d'une route invisible dictée par les arbres et l'abattement de leur feuillage. Il pleuvait.

Il pleuvait et nous étions là à regarder tomber la pluie, nous en émerveillant presque, vidés de tout monde existant quelque part, nous étions ailleurs tout en étant ici.

Nous étions ici puis il est parti, me laissant alors seule dans l'endroit où je vis, où je n'existe pas, où je redeviens moi et me subis.
Il est parti m'envoyant un baiser, cigar à la bouche que je venais de frôler, semblable aux fantômes de pluie trainés par les rafales.