Réveillée à 6h.
Hicham est au salon, réveillé plus tôt
que moi. Je n’entends pourtant pas de bruit. Je pense donc qu’il s’est rallongé
sur le canapé, la télé allumée.
Je me dis alors que je vais me
rendormir, dans le lit deux places qui s’offre rien qu’à moi.
Mais voilà les angoisses de la veille au
soir qui me reviennent. De suite je pense à prendre un truc, anxiolytique,
somnifère, tout pour me rendormir. Mais non. Je tiens encore bon.
Je me dis alors que je vais me lever, prendre
mon petit déjeuner qui sera un merveilleux réveil des papilles. Pourtant cela
ne change rien à ma disposition d’esprit.
Je me sens angoissée et triste.
Aujourd’hui il pleut à Rennes. Le ciel a
revêtu son uniforme gris. Les oiseaux ne chantent pas et malgré mes pensées ce
matin, j’aime cette heure du jour où tout est encore endormi. Cela me donne
l’impression d’épier le réveil du monde, d’assister de loin, en silence, cachée
de tout et de tous, aux étirements d’ailes du dehors.
Je pense à Saint-Malo. J’ai évidemment
envie d’y retourner, mais de suite cette envie se fait suivre d’une immense
sensation de chagrin, de vide, de manque.
Alors je cherche. Je cherche parce que
je ne peux me convaincre que quitter une ville peut me mettre dans cet état que
je sens se rapprocher de celui de 2007.
Je dois sûrement avoir peur de
l’inconnu, une nouvelle fois. Pourtant je n’appréhende pas tant que çà, je n’ai
désormais plus rien à prouver à personne. Si je ne vais vraiment pas bien, un
médecin me fera un arrêt maladie, le temps que je me ressaisisse.
En
me levant tôt, j’aurais plus de chance de passer mon après-midi à dormir. C’est ce qui
m’a convaincu de me lever.
Je me projette déjà dans une journée
vide, devant un écran quel qu’il soit, affalée de tout mon long sur le canapé,
devenant tout ce que je déteste chez les autres.
J’ai pourtant des idées pour
Belfort : passer le permis, prendre des cours de dessin à défaut de
reprendre l’équitation dans un club qui me corresponde, m’inscrire sinon dans
une salle de sport… mais le temps, surtout au premier trimestre, me manquera
inévitablement. Après tout, j’ai maintenant toute la vie devant moi, là-bas,
pour le faire, et ne suis résolument pas à un trimestre près pour m’engager
dans des activités qui m’épanouissent.
Dès le permis obtenu, ce sera excursion
sur excursion pour visiter les environs, j’espère que je garderais ce même
plaisir de conduire qu’ont mon père et ma sœur Laetitia et que j’ai ressenti
sur le parking de mes premiers slaloms.
Je constate que j’ai de nouveau besoin
d’écrire, comme à l’époque où je n’avais aucun interlocuteur pour recevoir ma
parole.
Tout bien considéré, je n’ai pas plus
d’interlocuteur aujourd’hui qu’il y a
sept ans.
Hicham est devenu trop proche, Estelle
ne l’est pas assez, il y aurait bien Laeti, mais j’ai comme besoin de plus
d’aptitude à la compréhension de l’autre.
Dans onze jours tout sera terminé.
Saint-Malo, Rennes, Combourg, le vent,
la pluie, les marées, les mouettes, tout.
Si c’est vraiment quitter Rennes qui me
met dans cet état, je n’aurais jamais cru cela possible. Pleurer une ville
comme on pleurerait une personne. S’en sentir arracher comme un enfant des bras
de l’un de ses parents.
Je creuse un peu. C’est peut-être la
tranquillité que j’ai peur de perdre, l’accalmie des maladies d’Hicham et de ma
mère, l’éloignement d’avec mes parents qui fait que je peux gérer ma souffrance
à leur pensée. J’ai comme l’impression que quitter cette année, quitter la
Bretagne, c’est s’enfoncer dans l’irréversible, le mal, la maladie, la mort, la
solitude, qu’après avoir touché le paroxysme du bonheur, il est désormais venu
le temps de renouer avec la réalité du monde, sans échappatoire, sans point de
fuite possible, et qu’il va alors falloir se reconstruire sur des berges
glissantes qui tranchent la paume des pieds, si toutefois l’on parvient à
dégager de nous l’encore envie de sortir de l’eau.
Je me sens glisser sur une pente que
j’identifie maintenant sans difficulté, les haut-le-cœur m’aidant à comprendre
que ne pas réussir à avaler une bouchée c’est en fait refuser d’avaler un peu
de vie.
Je ne sais pas si j’ai envie de publier
cet article. Je n’ai pas envie qu’Hicham s’inquiète, et surtout pas envie qu’il
modifie son comportement envers moi, pas envie non plus qu’il me reproche mon
état, auquel je n’ai rien envie de changer pour l’instant, pas envie non plus
qu’il m’engueule en me disant qu’il ne peut pas vivre avec quelqu’un qui ne va
pas bien mais qui ne parvient pas à identifier son mal, pas envie parce que pas
la force, je veux qu’on me foute la paix avec mes états d’âme, qu’on les
respecte comme je respecte ceux des autres, sans tenter jamais de modifier
l’état d’esprit de celui ou celle qui l’éprouve, juste accepter que parfois,
merde, je peux aussi aller mal et qu’on me laisse alors, pendant quelques
heures, emmerder le monde et tracer ma route dans le marbre.