Anthony




 

Hier j’ai vu la mort. Son visage, son teint, sa substance. Elle reposait là, sur un lit d’opale blanc, froide et imperturbable. Je ne vois que trois trous creusant l’enfant, sans couleur, teneur ni contenance. C’est l’horreur qui reposait sur ce lit. Je l’ai touché du doigt, incapable de me pencher plus près, d’approcher mon visage de cette image de l’horrible, du paraissant inhumain, incapable de lui laisser sur ce qui lui restait de joue un baiser d’adieu, un simple geste douloureux dont je sens encore l’effet. Une enveloppe que l’on aurait remplie d’eau, de liquide quelconque laissant s’enfoncer la chair sous la pression du mouvement. L’être inanimé qui n’attend plus que le recueillement qu’il inspire désormais, semblant nous observer à travers le renfoncement de ces yeux qui caractérise aujourd’hui son visage. Plus de muscle, plus de lèvres, juste un trou noir béant, comme si les chairs avaient été aspirées de l’intérieur, laissant alors un rictus de foudroiement, de peur et pourtant d’apaisement tant la salle était calme, calme et presque belle si mes yeux ne se souvenaient entièrement de la laideur du corps reposant en son centre.

Partout où mon regard tourne et se pose je revois son image, ses orbites apparents, ses cernes, le cercle sans fond de sa bouche ouverte comme voulant encore dire quelque chose, ne serait-ce qu’un cri, qu’un pleur, que viendraient suspendre des larmes qui jailliraient de ces creux comme le feraient les flots d’un déversoir. Je ne vois rien d’autre que l’image même de l’hideux, du répugnant que l’on se doit d’oser regarder, de face, toucher si l’on s’en sent la force, la résignation, faire abstraction de ce que l’on voit en se rattachant à l’unique vivant matériel et penser aimer ce lambeau de corps comme on disait aimer l’être qu’il était. Voir des parents caresser la tête morte de leur enfant, en se montrant digne, en parlant de lui au présent, employant des termes que l’on adresse au répondant, en se leurrant de sa présence pour ne pas avoir à gerber ses tripes devant une telle apparition.
A la vue du visage on imagine soudain le reste du corps, que l’on a pris soin d’empaqueté dans la couverture polaire que le vivant adorait, comme pour lui tenir chaud, une fois sous terre, comme pour tenir chaud à cette enveloppe sans consistance, sans muscle ni chair, comme si la pierre pouvait avoir froid, la pluie ou l’air. Alors on raccroche son regard au soutenable qu’est le bois blanc qui renferme le corps, un bois pur couleur de neige, avec quelques lettres argentées gravées sur le dessus du couvercle et les poignées ornant les côtés, pour en faciliter la prise. Se dessinent alors les doigts, les frêles doigts qu’esquisse déjà l’os, le ventre strié par la marque des côtes et le creux, encore, venant prendre place au rebondis du ventre. J’y vois le futur décharnement, les membres qui se tordent et se tendent pour prendre leur forme définitive, se durcissant comme s’amollit la peau au passage de la main.

Partout, en chaque personne rencontrée depuis je vois malgré moi le visage de leur mort. Trois trous, sans plus aucun regard autre que le vide. Alors je pense à eux, à lui que j’aime et vois leurs traits se décomposer, se tirer, s’écarter pour laisser place au néant de leur absence.

Je le vois, ne pouvant plus serrer ma main, ne pouvant plus revenir à lui comme en ses moments d’évasion. Je me vois réécrire l’histoire comme je sais me devoir anticiper le dessin d’une autre image. Etre là à temps pour embrasser ses lèvres, sentir la chaleur de son corps, le souffle d’une respiration et le battement même ultime de son cœur. Je veux être là pour le voir sourire, sentir une dernière fois l’étreinte de ses bras, le mouvement de son ventre et la pupille de son regard. Avant que son bras ne relâche toute pression, avant que ne parvienne à se soulever l’expiration de son buste, que ses yeux ne deviennent de vulgaires trous et que ses lèvres ne semblent avaler par une amante intérieure venant voler toute parcelle de vie au corps aimé.
Je veux voir encore son tressaillement et ne plus voir avant l’heure l’inévitable de ces instants.

Le mardi 17 février 2009




 

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