dimanche 19 janvier 2014

Cancer 6

Il est 3h47.
Je me suis couchée vers 21h et je me suis réveillée vers 1h10.
J’ai dormi d’une traite. Quatre petites heures de sommeil et me voilà comme de nouveau prête à l’insomnie.
Je me tourne et me retourne dans le lit depuis 1h10. Hicham s’est endormi vers 3h15. Il ronfle très fort.

Cet après-midi, c’était « grande réunion de famille ». Il y a « de très fortes probabilités » pour que ma mère ait un cancer. Elle aussi. Une tache minuscule au fond de l’utérus découverte avant-hier lors de son exploration pelvienne.

Dans le métro, j’ai eu envie de pleurer, descendre à n’importe quelle station et ne pas aller chez mes parents. L’impression épouvantable de perdre de façon imminente tout ce à quoi je tiens le plus profondément. Le désarroi de ne plus avoir de refuge nulle part.
De nouveau la solitude la plus complète, et qui se fait d’autant plus ressentir dans les lieux publics, qui sont bondés d’étrangers qui, eux, vivent encore.

Quand je regarde dehors, je vois plein de souvenirs. Et quand je me remémore ces souvenirs, j’ai envie de fuir les lieux qui les provoquent. On ne pense jamais aux bons moments que l’on vit. On ne pense jamais qu’un jour ils seront des souvenirs qui nous rendront la vie des plus insupportables.
Je pense alors que j’ai de la chance de ne pas avoir voyagé. Je pourrai fuir partout, aller partout ou presque, loin de Lyon, Saint-Etienne, Paris, Annecy et Reims. Partout, je n’aurai pas ces surgissements imprévisibles de souvenirs qui me tiraillent.

Avant que je ne me réveille, j’étais en train de rêver.
J’étais à l’hôpital avec Hicham et je remplissais pour lui, à sa place, un formulaire ou un quelconque questionnaire. Puis il a disparu du rêve et une infirmière ( ? ) m’a emmenée dans un box à côté de la salle dans laquelle on était.
Il y avait un chien, très maigre, blanc ou beige, abricot, sur une table de vétérinaire. L’infirmière me dit qu’il était en train de mourir et que sa maîtresse ne pouvait pas être là, qu’il serait bon alors que je la remplace pour être auprès de ce chien, petit et maigre, que je le rassurerais pendant cette épreuve.
Incrédule, je me suis mise à caresser la tête du chien qui s’est relevé et est venu se blottir contre moi, la tête dans le creux de ma paume. Il allait mourir dans mes bras.
Je me suis réveillée.

Je vois encore la joie dans les yeux du chien, et les larmes dans les miens.

Tout à l’heure, quand je ne voulais pas aller chez mes parents, ça m’a fait la même chose au retour. Je ne voulais pas rentrer chez moi. J’aurais eu envie de marcher quelque part, sans autre but que celui de fuir, fuir juste un moment, juste un peu, juste assez pour reprendre des forces.

Dehors, des sirènes retentissent toujours, par intervalles. La lumières bleue des gyrophares se reflètent sur les façades de l’immeuble d’en face. C’est çà, se trouver sur la route des hôpitaux.

Maintenant, j’en suis convaincue, plus rien ne sera jamais comme avant.
Quand je pense à la tristesse de mon père si jamais, elle me broie.



mercredi 15 janvier 2014

Cancer 5

Cette nuit encore, je ne dors pas.
Je me suis couchée vers 22h30. Il est 00h10.
Hicham s’est relevé. Il vomit.

On a tiré les rois ensemble, tous les deux. C’est sans doute la galette qui n’est pas passée. Il est tombé sur la fève. C’est lui le roi.
Je me demande si la vie peut redevenir comme avant, après ça.

Cet après-midi, il se sentait plutôt bien.
On est allé à la médiathèque de Bachut. J’y ai emprunté des livres sur les plantes d’intérieur. Ça me plait, cette idée de meubler notre nouvel appartement de plantes.
Les plantes, elles, je peux les maintenir en vie.
Il ne tient qu’à moi de bien m’en occuper, les arroser selon leurs besoins, leur donner de l’engrais quand c’est nécessaire.

Mon stylo écrit mal aujourd’hui, comme s’il laissait couler l’encre au compte-gouttes.

Quand j’essaie de dormir, j’entends mon cœur qui bat, il résonne fort dans mes oreilles, dans mes tempes. Je le sens battre partout dans mon corps, ma poitrine, ma tête, mes bras. Partout. Et mon cerveau est tout le temps en train de penser, comme toujours sur le qui-vive, s’interdisant l’arrêt total de son fonctionnement ou ne se l’autorisant que sous forme de veille, l’espace d’un assoupissement d’une petite heure.

C’est bien de ce manque de sommeil que je tire cette continuelle fatigue physique, mes crampes aussi peut-être et certaines courbatures ou douleurs fantômes musculaires très sûrement.
Sans compter mes yeux, rouges, exorbités, gonflés.

Cette nuit encore, je fais l’expérience de l’impuissance la plus totale. Je suis là, auprès de lui qui a mal, et je ne peux rien faire. Rien. Si ce n’est attendre que ça passe. M’éloigner lâchement de lui, pour n’entendre que de loin ses râles, en pensant sûrement à tort l’aider ainsi à maintenir une petite part de dignité en laquelle je crois l’y être attaché.

Le pire dans les insomnies c’est que le corps et l’esprit sont tellement épuisés tous les deux que pas un ne permet une quelconque occupation, distraction.
La lecture brûle les yeux, l’écriture aussi, mais moins, c’est davantage supportable.
Il me reste le choix des somnifères. Je ne sais pas où je les ai mis.

A force de ne pas dormir, la mal de crâne devient un locataire permanent. On ne le sent presque plus, pourtant, il alourdit tellement la tête qu’on ne peut l’oublier et qu’on sait qu’il est là.

J’ai peur qu’il renonce. Qu’il abandonne.
C’est fou comme dans la vie rien ne se passe à la manière dont on le prévoit.

J’ai mis le noyau de l’avocat que j’ai mangé ce midi dans de l’eau. On verra s’il pousse.

C’est fou aussi comme on peut avoir besoin de sources de vie, d’êtres vivants quels qu’ils soient, quand on a compris le compte à rebours qui mène à la mort.




lundi 13 janvier 2014

Cancer 4



Je me suis couchée il y a une heure, vers 22h environ.
Il digère mal sa quiche lorraine. Il râle et se rendort aussi sec. Parfois il se gratte le front ou sa jambe tressaute. J’ai toujours peur qu’il ne refasse une crise d’épilepsie.

Ce soir, je n’ai encore pas réussi à m’endormir. Je me sens pourtant complètement éreintée.

Ce matin, mon partiel s’est bien passé. Sur Proust et la Charité de Giotto.
-        C’était vraiment très bien, je n’ai pas besoin de faire d’effort pour vous mettre une bonne note, ce n’est pas du tout une note de complaisance.
-        Tant mieux.
Je suis ensuite passé chez mes parents. Mon père semble terriblement fatigué et anxieux. Ma mère a mal, toujours ses douleurs dans le bas du ventre. Je trouve qu’elle a beaucoup maigri. Tous les deux parlent peu. On a démonté le sapin. Laeti était là. On a tiré les rois.

Et ce soir dans ce lit, Hicham ronflant à demi-endormi à mes côtés, je me sens indiciblement terrifiée.

J’ai peur de fermer les yeux et de m’endormir trop profondément au cas où il lui arrive quelque chose.
Je crois en fait que depuis plus de deux mois maintenant je n’ai plus vraiment dormi. Cela expliquerait sans doute mon état de fatigue physique continuel et ma relative agressivité.

Ce soir, j’ai comme le vertige et la tête qui tourne. J’ai sans doute encore trop lu, mes yeux sont rouges.
Pourtant, quand je suis au salon comme maintenant et lui dormant dans la chambre, je me sens comme en sécurité. Je l’entends de loin, ronfler et respirer, et je me dis qu’il dort, qu’il va bien. Et qu’un jour il se peut que je regrette ce temps passé loin de lui qui dort dans la chambre, moi au salon sur le canapé. Qu’un jour je n’aurais plus le choix de l’endroit où aller pour fuir cette terreur. Qu’un jour je m’en voudrais de ne pas être restée près de lui, à le veiller, le regarder dormir. J’ai tout simplement peur du jour où il n’y aura plus personne, où il ne sera plus là, à s’agiter, ronfler, respirer, jusqu’à m’en empêcher de dormir.
J’ai sommeil.
Je rêve comme le dit Mallarmé d’un « lourd sommeil sans songe ».

Je crois qu’en ce moment je ne me sens bien que toute seule. Comme n’ayant personne à qui confier mon angoisse. Comme n’appartenant plus à cette vie banale à laquelle tous appartiennent encore.
D’autres, qui le pourraient, ayant leurs propres fardeaux.

De nouveau, comme autrefois.
Un livre, un cahier, un stylo et moi. Mon chat a, depuis, remplacé mon chien.

Ce soir, l’envie de flamands roses est un effort qui me parait hors d’atteinte.

C’est comme cette pensée tout à l’heure dans le métro.
Si je m’assoie sur ce siège libre, vacant, aurais-je seulement la force de me relever ?


dimanche 12 janvier 2014

Cancer 3



Ce soir, je ne trouve plus aucun sens à tout ce que je fais.
Il n’y a aucun sens à me nourrir, à réviser mon partiel de demain, aucun sens à écrire ces lignes. Il n’y a aucun sens et pourtant je le fais quand même, comme s’il fallait à tout prix que persiste un peu de cette vie banale qui était la mienne et que j’ai perdue.

Sans savoir qu’un jour, cette vie minuscule me manquerait.

Il faut que je m’impose des devoirs d’être vivant, manger, dormir, me laver, être une bonne étudiante pour avoir un bon job, me convaincre de faire du sport, de sortir, pour me donner une chance d’aller mieux, de me leurrer en pleine conscience d’un retour de cette vie banale à jamais achevée.
Pourtant, il le faut bien. « Il faut être forte ».
Alors aujourd’hui, j’ai pris une douche, j’ai mangé, j’ai révisé mon partiel de demain et j’écris, en attendant de voir un psy qui m’aidera à me fondre dans le moule des vies ordinaires.

Pourtant, comble de l’ironie, la vie continue à m’aveugler de ses phares. Il persiste en moi des envies. De flamands roses aujourd’hui. De longues balades en trottinette dans le Parc. De raclette. De plantes. De chiens et chats.
Je suis en train de lire Joyce Carol Oates, J’ai réussi à rester en vie.

Je me sens un peu épuisée ce soir, j’ai sûrement trop lu.
Dans la chambre à côté, il dort, je l’entends qui ronfle. Parfois, souvent, il gémit. Et je me sens coupable d’être là, en bonne santé, avec mes devoirs futiles, mes envies de raclette et de flamands roses.

Je suis celle qui survivra à l’autre, celle que tiraillera alors le manque, l’absence, le chagrin sans fond. Je suis aujourd’hui celle qui doit le convaincre de se battre pour vivre, alors que cette vie-là m’abat.
Je dois le convaincre de manière égoïste, pour que ce jour où je serai « celle qui survivra à l’autre » arrive le plus tard possible.