Un
sursaut qui me fait reprendre le stylo pour éviter un nouvel
assoupissement. Il fait encore nuit dehors et le stress de cette journée
à venir me fait redouter le temps qui traîne.
C’était le matin, surtout, pendant qu’ils dormaient encore.
C’était la nuit, parfois, après s’être assurée de leur endormissement.
C’était pendant leur absence, tout le temps, à chaque fois.
Je
ne me souviens pas de mon âge mais ai gardé en mémoire le sien, à cette
époque. Un âge approximatif. On finit par oublier ce qu’on refoule.
Le
plus souvent, le matin et la nuit surtout, cela se passait dans ma
chambre. Notre chambre, pour être plus juste. On fermait la porte,
prenions le chien qui dormait à mes pieds, dans le lit du bas. La pièce
n’était pas grande, juste assez de place pour un lit, que l’on avait
superposé sur un autre, un bureau qui n’était pas le mien et un meuble à
télé, dans lequel était la chaîne hifi, qui n’était pas la mienne. Moi,
j’avais un petit poste radio que je cachais sous mon oreiller et que
j’écoutais avec un casque pour m’endormir.
Vanda
devait avoir quinze ans, peut être moins, en fait. Moi six de moins et
nous jouions. Nous jouions aux jeux de rôles. Vanda était sur le lit du
haut, les parents me pensaient trop jeune pour arriver seule à monter et
descendre de l’échelle, surtout la nuit, parce que je portais des
lunettes que j’enlevais pour aller me coucher. L’appartement n’était pas
grand, nous partagions donc la chambre du fond, celle qui donnait sur
le balcon. Je me souviens que nous la décorions, Vanda et moi, de toutes
les façons possibles en fonction des périodes de l’année. C’était des
fantômes et des sorcières pour l’automne, des guirlandes au plafond
l’hiver, des cloches pour le printemps et des poissons multicolores
renchéris de peluches sur des étagères l’été. Sans oublier les posters
des chanteurs préférés de Vanda et ceux de chevaux sur mon mur. Oui, sur
mon mur, parce que çà aussi nous devions nous le partager. Un mur était
à Vanda, le plus grand, celui contre lequel était le bureau, et l’autre
était à moi, celui contre lequel reposaient les lits, en face de la
porte d’entrée. Le troisième mur était un placard mural sur toute sa
longueur et le dernier n’était que les hautes et larges fenêtres qui
menaient au balcon. C’était la pièce la plus chauffée de l’appartement
et le matin, j’aimais monter sur le lit de Vanda, ayant pris soin
auparavant d’ouvrir les volets, pour regarder le lever du soleil. Je
montais le chien avec moi et m’asseyais au bord de l’échelle pour ne pas
risquer qu’il ne tombe.
Mon
autre sœur, notre aînée, suivait alors une formation de toiletteur
canin à Mulhouse. Je me rappelle ce jour où, avec mon père, je l’avais
accompagné à la gare. C’était la première fois que je voyais des trains
d’aussi près. Quand le sien se mit à démarrer, j’ai eu comme une perte
d’équilibre en croyant que c’était moi qui bougeais sur le quai !
A la maison, nous n’étions donc plus que quatre, Vanda, mes deux parents et moi.
Vanda
était belle, tout le monde le disait. Moi j’étais, à comparer, comme le
vilain petit canard qui n’excellait que par sa capacité de
mémorisation.
Comme
je l’ai dit plus haut, Vanda et moi jouions. Elle restait sur son lit
et me donnait les consignes, les règles du jeu. Moi j’attendais en bas,
en l’écoutant, pour que ce que je fasse lui convienne. Elle me disait de
me mettre dans la peau d’un serveur, d’un passant inconnu, d’un
routier, parfois même dans celle d’un violeur. Je devais alors inventer
tout un scénario, auquel elle me donnait à coup sur la réplique. Je
devais parvenir à un parfait jeu de séduction. Je devais, de mon
envergure de petite fille, draguer ma sœur, bonnement et simplement. Une
fois parvenue à la « séduire » en lui disant des mots dont j’ignorais
le sens, elle prenait le pouvoir, me permettait de monter, moi l’homme
que j’étais en ces instants, sur son lit. Et alors, elle me demandait de
commencer par la déshabiller, puis de la caresser, tout en continuant
mon jeu d’actrice. Mes mains innocentes parcouraient sa nuque, ses seins
qui n’étaient pas encore formés, mais elle jamais ne me touchait. Je
m’allongeais sur elle, nue mon tour, selon ses consignes. Il arrivait
qu’elle me demande d’embrasser son pubis tout nouvellement pourvu d’un
duvet de poils. Et moi, je faisais tout, innocemment, croyant ce jeu
tout autant innocent que l’était encore mon âme, ne pouvant soupçonner
l’interdit de ces pratiques, ignorant tout des corps.
Je
jouais, comme avec une poupée, j’inventais une histoire que l’on
m’avait suggérée et je touchais le sexe de ma sœur comme j’aurais pris
sa main.
Une
fois, mon père au travail, ma mère regardait la télévision au salon, ma
sœur ferma la porte du couloir puis celle de notre chambre, ayant dit à
ma mère que nos allions faire une sieste. On ferma les volets et le jeu
recommença. Je rigolais à tue-tête, nue contre le corps nu de ma sœur.
Je ne sais si ce fût mon rire qui attira l’attention de ma mère mais
elle entra dans la chambre sans frapper et nous surpris, moi sur Vanda,
dans le plus simple appareil, moi tout sourire, Vanda la peur sur le
visage.
Ma
mère nous sépara en nous traitant de folles, nous disant que nous
n’étions pas bien, avec un air outré, presque vexé. Je redescendais dans
mon lit, ma mère quitta la chambre en colère en laissant cette fois-ci
les deux portes ouvertes. J’entendais Vanda pleurer sans rien comprendre
à ce qu’il se passait.
Quel mal y avait-il à jouer ?
Après
cet épisode, nous rejouions uniquement pendant l’absence de nos
parents, lorsque nous étions seules, comme pour nous occuper, ou
uniquement encore par habitude. Mais le corps de Vanda changeait à vue
d’œil et il était des fois où, quand je lui demandais de jouer, elle
rejetait ma demande. Et ce jeu me manquait.
Je
cherchais quel plaisir Vanda pouvait avoir à faire des choses qu’on
nous interdisait de faire. C’est là que je commençai l’exploration de
mon propre corps. Mes mains allèrent dans chaque recoin inconnu
jusqu’alors, se parcouraient elles-mêmes et finirent par découvrir le
plaisir qu’elles pouvaient me donner.
Vanda
eu ses premières menstruations à l’âge de seize ans. Petit à petit, le
jeu s’estompait et se faisait de plus en plus rare, jusqu’à finir par
devenir inexistant. Vanda avait grandit, son corps s’était transformé et
les nouvelles formes qu’il laissait deviner me donnaient encore
davantage envie de jouer.
Plus
tard, j’eu de gros maux de ventre et je me revois empiler des oreillers
sous mon ventre, tête appuyée contre le matelas. C’était le seul moyen
que j’avais trouvé pour atténuer un peu mes douleurs. Je profitais de
ces moments pour poser un oreiller, ou parfois même une peluche, juste
là, entre mes jambes, que je serrais alors, comme si mon sexe aussi
avait eu mal.
Un
jour que nous étions seules, Vanda dans la chambre, moi au salon, je
ressenti ma première véritable humiliation. J’étais là, allongée sur le
canapé, frottant mon sexe comme dans un mouvement de masturbation
infantile et ma sœur m’a surpris, là, en train de faire ce que j’étais
en train de faire. Elle me traita de dégueulasse, elle qui une année
avant à peine me faisait la toucher sans jamais répondre au désir
d’inversion des rôles que je réclamais de plus en plus souvent.
Aujourd’hui
je ne sais si j’invente ou non cette histoire, à force de vouloir
l’oublier je doute de sa réelle existence. Je me rappelle m’être servi
de cette « histoire », une fois compris tout le mal qu’elle
représentait, pour faire pression sur cette sœur.
Depuis
ce jour, ce jour où Vanda m’inculqua malgré elle le mal qu’il y avait à
se faire du bien, elle et moi avons fait comme si rien de tout cela ne
s’était jamais passé.
Aujourd’hui
je me demande en quoi cet épisode incestueux de ma vie peut jouer un
rôle sur mes idées et mes peurs associées et incomprises. Du jour où
j’ai compris, bien des années plus tard, de quoi il ressortissait de ces
pratiques, je n’ai plus jamais joué mais ai continué sans plus
m’arrêter cette exploration de mon corps que je voyais se muter en
parfaite arme. Je continuais ce mouvement de moi à moi dans la honte,
suivant, une fois ma chambre personnelle acquise, les habitudes
instituées par Vanda. Je me suis détesté longtemps, pour aimer tant une
chose que l’une de mes sœurs vilement, m’avait instruit. Je ne me
souviens pas en avoir souffert le temps de son approbation, je me
souviens avoir souffert de mon incompréhension et de ma dépossession. Ce
de quoi je souffre aujourd’hui est la méconnaissance du regard que je
me devrais de poser sur ma sœur. Je souffre sans véritable mal, sans lui
en vouloir de quoi que ce soit, sans lui en tenir une quelconque
rigueur. Le pire, ou le mieux, est que je ne ressens aucun remord,
aucune rancœur, juste une complicité à taire que je partage avec elle,
une complicité contraire à la dite vertu humaine…