vendredi 22 juin 2012

L'après-midi d'un faune

 
J'ai tenté de recréer ton image sur le papier, ce n'était pas toi.
Le cou bien trop long. J'ai remonté ton col mais la tête était encore trop haut perchée. Ton visage semblait plus âgé, vieilli de ces années qui te manquent. Ce n'était pas la juste reproduction de ton modèle mais toi ayant grandi, ayant projeté sur cette page tes yeux de petit homme.
Le crayon à la main, je te regarde et je souris de ce sourire inexplicable à vouloir reproduire l'image d'un mort.
Au fur et à mesure ne me reste que le souvenir de moi te remémorant. Plus même ton petit corps allongé ni même ton regard vide.
J'ai un peu peur d'achever ce dessin et que tes traits disparaissent. Tu joues avec moi, petit monstre. Je ne me rappelle avec précision que ce jour où, appuyé contre le mur, tu te cachais pour me regarder écrire. Mon cœur s'éprenait alors d'un autre amour. Je t'ai regardé et je t'ai assis sur mes genoux. Tu étais heureux, je te faisais taper des mots à toi sur le clavier et tu appuyais sur les touches avec ton petit doigt tendu que tu brandissais comme une antenne. Et tu me souriais en rentrant vers l'intérieur de ta bouche ta lèvre du bas. Je t'ai reposé par terre en t’ébouriffant. Tu es parti en courant. 
Et qui sait si aujourd'hui tu ne lui ressemblerais pas ?
J'essaie, j'ajoute un trait ici, j'en gomme un autre par là. (tu t'amuses) J'essaie en vain de te recréer à l'identique, de voir en cet autre bambin une projection de toi et tu m'échappes en riant. (me rappeler que tu n'es pas qu'un symbole)
Si tu ouvrais la bouche, je verrais tes deux petites dents et j'entendrais alors ton rire arsouille. Pourtant ton front se défait déjà. Tes yeux sont deux soleils qui éclaboussent de joie en même temps que l'ombre que projette ton front est celle d'un mal invisible (d'une menace qui rôde). Un peu comme si tu te forçais à ce sourire alors qu'en dedans déjà repose le savoir que bientôt tu ne seras plus. (cesseras-tu de m'ordonner de te faire vivre?)
Tes traits ne sont qu'imperfection.

Un trait de trop. Ici. Ou là. Je ne sais plus. Ce n'est déjà plus toi.
(n'ai pas su voir le moment où tu as basculé)
Peu à peu, petit faune, tu t'empares de moi comme une frénésie.