J'ai tenté de recréer ton image sur le
papier, ce n'était pas toi.
Le cou bien trop long. J'ai remonté
ton col mais la tête était encore trop haut perchée. Ton visage
semblait plus âgé, vieilli de ces années qui te manquent. Ce
n'était pas la juste reproduction de ton modèle mais toi ayant
grandi, ayant projeté sur cette page tes yeux de petit homme.
Le crayon à la main, je te regarde et
je souris de ce sourire inexplicable à vouloir reproduire l'image
d'un mort.
Au fur et à mesure ne me reste que le
souvenir de moi te remémorant. Plus même ton petit corps
allongé ni même ton regard vide.
J'ai un peu peur d'achever ce dessin et
que tes traits disparaissent. Tu joues avec moi, petit monstre. Je ne
me rappelle avec précision que ce jour où, appuyé contre le mur,
tu te cachais pour me regarder écrire. Mon cœur s'éprenait alors
d'un autre amour. Je t'ai regardé et je t'ai assis sur mes genoux.
Tu étais heureux, je te faisais taper des mots à toi sur le clavier
et tu appuyais sur les touches avec ton petit doigt tendu que tu
brandissais comme une antenne. Et tu me souriais en rentrant vers
l'intérieur de ta bouche ta lèvre du bas. Je t'ai reposé par terre
en t’ébouriffant. Tu es parti en courant.
Et qui sait si aujourd'hui tu ne lui
ressemblerais pas ?
J'essaie, j'ajoute un trait ici, j'en
gomme un autre par là. (tu t'amuses) J'essaie en vain de te recréer
à l'identique, de voir en cet autre bambin une projection de toi et
tu m'échappes en riant. (me rappeler que tu n'es pas qu'un symbole)
Si tu ouvrais la bouche, je verrais tes
deux petites dents et j'entendrais alors ton rire arsouille. Pourtant
ton front se défait déjà. Tes yeux sont deux soleils qui
éclaboussent de joie en même temps que l'ombre que projette ton
front est celle d'un mal invisible (d'une menace qui rôde). Un peu
comme si tu te forçais à ce sourire alors qu'en dedans déjà
repose le savoir que bientôt tu ne seras plus. (cesseras-tu de
m'ordonner de te faire vivre?)
Tes traits ne sont qu'imperfection.
Un trait de trop. Ici. Ou là. Je ne
sais plus. Ce n'est déjà plus toi.
(n'ai pas su voir le moment où tu as
basculé)
Peu à peu, petit faune, tu t'empares
de moi comme une frénésie.