samedi 16 janvier 2016

Il est 23h45.



Il est 23h45. J’ai lu un peu avant de dormir.
Mais voilà que quand j’éteins enfin la lumière, je me mets à penser. Je pleure, sans pouvoir m’arrêter.
Dans deux jours c’est mon anniversaire. Mon premier anniversaire lors duquel la femme qui m’a mise au monde ne sera pas là pour me le souhaiter.
Je la revois, ma mère, dans son lit d’hôpital, le buste entier relevé dans un geste ultime d’inspiration, j’entends le bruit de sa respiration, qui halète, elle suffoque en fait, et je sais en ces heures qu’elle est en train de mourir.
Je regrette de ne pas lui avoir parlé, alors qu’elle était dans cet état. Ne pas avoir cru possible le fait qu’elle puisse m’entendre.
Quand je pense à ce qu’elle a enduré de souffrances pour vivre, je me dis que la peine que je ressens n’est rien, tellement rien. Comment peut-on avoir envie d’autant se battre pour une telle vie ?

Je me sens orpheline, et veuve.
Quand ce n’est pas le souvenir ou l’image de ma mère qui s’imposent à moi, c’est le souvenir et l’image d’Hicham. Mon premier amour. L’homme de ma vie.
Tous deux se sont tant battus.
Ce soir, il neige. Il n’aurait pas apprécié cette saison dans cette région. Trop de vent, trop de pluie, trop de froid…
Des fois je repense à tous les moments où j’en avais marre, de son cancer et de ses effets, tout comme des vacances entières pendant deux ans, passées à l’hôpital auprès de ma mère… j’en avais tellement marre… et c’est pourtant aujourd’hui tout ce qui me manque… je ne savais pas alors que c’était un cadeau, que de vivre ces moments, et qu’aujourd’hui je donnerai tout pour pouvoir les revivre ne serait-ce qu’une seule journée…

Des fois j’ai honte, de continuer à vivre, presque comme si de rien n’était… presque comme si la mort de ma mère et de mon conjoint n’avait été qu’une débile déception.
Je ne sais comment je peux encore sourire et rire. Je sais que je fais tout pour ne pas penser à eux, que mon objectif de chaque jour est de combler le temps qui le compose afin de ne pas avoir le temps de penser à eux, le temps de me souvenir, le temps d’être malheureuse, le temps qu’ils me manquent, si intensément.

Ce soir j’écris ces mots et il n’y a plus personne pour les lire.
A quoi bon ?

Si je commence à penser à eux, à leur absence, à nos souvenirs, à toute ma vie résumée en eux ou presque, je sais que mon chagrin n’aura pas de fin, parce que je ne suis pas de nature optimiste, que la mort, la mienne, ne m’a jamais fait peur, que ce qui m’a toujours terrorisé est la mort de l’autre, de l’autre que j’aime et de moi lui survivant, avec tout ce mal, toute cette douleur, tout ce vide, faire comme s’ils n’avaient jamais existés, pour ne pas vivre avec des fantômes. Et pourtant.

Ce soir, il neige, le paysage est merveilleux. Mélancolique. Comme tout ce que j’ai toujours trouvé beau.
La tentation est grande, de me laisser aller, dans ma solitude, dans ce vide, vivre avec eux encore, dans une bulle de souvenirs, des photographies aux murs,  des morceaux de musiques choisis, Sa voix qui résonne.
Savoir qu’il n’y a aucun sens à  la vie me fait me demander pourquoi il faut alors l’endurer.

Je ne suis plus que vide et manque, terribles, intenses, sans fonds.