jeudi 24 avril 2014

... j'aimerais ...



… j’aimerais parfois pouvoir pleurer contre quelqu’un qui supporterait le poids de mes larmes …

mercredi 23 avril 2014

Emily BRONTË, Les Hauts de Hurle-Vent


" Je lui ai donné mon cœur, il l'a pris, l'a brisé et me l'a rejeté mort "
 

mardi 22 avril 2014

Virginia WOOLF, Mrs Dalloway


" Ne crains plus, dit le cœur. Ne crains plus, dit le cœur, confiant son fardeau à quelque océan, qui soupire, prenant à son compte tous les chagrins du monde, et qui reprend son élan, rassemble, laisse retomber. Et seul le cœur écoute l'abeille qui passe; la vague qui se brise; le chien qui aboie, au loin, qui aboie, aboie. "  

lundi 21 avril 2014

Michael ZADOORIAN, Le Cherche-Bonheur


" On passe sa vie à se préoccuper de l'opinion des autres, alors qu'en réalité ils ne pensent pas. Les rares fois où ça leur arrive, je l'admets, c'est souvent en mal, mais on peut au moins se réjouir qu'ils soient capables de penser. "

dimanche 20 avril 2014

Marcel PROUST, Le Côté de Guermantes, extrait

«  Quelle différence entre posséder une femme sur laquelle notre corps seul s'applique parce qu'elle n'est qu'un morceau de chair, et posséder la jeune fille qu'on apercevait sur la plage avec ses amies, certains jours, sans même savoir pourquoi ces jours-là plutôt que tels autres, ce qui faisait qu'on tremblait de ne pas la revoir. La vie vous avait complaisamment révélé tout au long le roman de cette petite fille, vous avait prêté pour la voir un instrument d'optique, puis un autre, et ajouté au désir charnel l'accompagnement, qui le centuple et le diversifie, de ces désirs plus spirituels et moins assouvissables, qui ne sortent pas de leur torpeur et le laisse aller seul quand il ne prétend qu'à la saisie d'un morceau de chair, mais qui, pour la possession de toute une région de souvenirs d'où ils se sentaient nostalgiquement exilés, s'élèvent en tempête à côté de lui, le grossissent, ne peuvent le suivre jusqu'à l'accomplissement, jusqu'à l'assimilation, impossible sous la forme où elle est souhaitée, d'une réalité immatérielle, mais attendent ce désir à mi-chemin, et au moment du souvenir, du retour, lui font à nouveau escorte ; baiser, au lieu des joues de la première venue, si fraîches soient-elles, mais anonymes, sans secret, sans prestige, celles auxquelles j'avais si longtemps rêvé, serait connaître le goût, la saveur, d'une couleur bien souvent regardée. On a vu une femme, simple image dans le décor de la vie, comme Albertine profilée sur la mer, et puis cette image, on peut la détacher, la mettre près de soi, et voir peu à peu son volume, ses couleurs, comme si on l'avait fait passer derrière les verres d'un stéréoscope. C'est pour cela que les femmes un peu difficiles, qu'on ne possède pas tout de suite, dont on ne sait même pas tout de suite qu'on pourra jamais les posséder, sont les seules intéressantes. Car les connaître, les approcher, les conquérir, c'est faire varier de forme, de grandeur, de relief l'image humaine, c'est une leçon de relativisme dans l'appréciation d'un corps, d'une femme, belle à réapercevoir quand elle a repris sa minceur de silhouette dans le décor de la vie. Les femmes qu'on connaît d'abord chez l'entremetteuse n'intéressent pas, parce qu'elles restent invariables. »

lundi 14 avril 2014

Virginia WOOLF, Mrs Dalloway


" C'était un rêve stupide, stupide, que d'être malheureuse. "

dimanche 13 avril 2014

Le spleen de Paris, Charles BAUDELAIRE

" L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'être vaincu. "

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" On respire ici maintenant le ranci de la désolation. "


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" Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d'aucun désespoir; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d'un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours. "

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" Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance ? "


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" Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée. "

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" Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint et bien faible, comparé à cette ineffable orgie, à cette sainte prostitution de l'âme qui se donne toute entière, poésie et charité, à l'imprévu qui se montre, à l'inconnu qui passe. "


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" Et elle sera rentrée à pied, méditant et rêvant, seule, toujours seule; car l'enfant est turbulent, égoïste, sans douceur et sans patience; et il ne peut même pas, comme le pur animal, comme le chien et le chat, servir de confident aux douleurs solitaires. "

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" Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs. "

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" Le bonheur est marié au silence. "

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" Et tu connaîtras le plaisir, sans cesse renaissant, de sortir de toi-même pour t'oublier dans autrui, et d'attirer les autres âmes jusqu'à les confondre avec la tienne. "

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" La beauté garde la magie pénétrante des ruines. "

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" Le crépuscule excite les fous. "

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" Bien qu'elle soit libre, elle marche sans souliers. "

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" Nous nous étions bien promis que toutes nos pensées nous seraient communes à l'un et à l'autre, et que nos deux âmes désormais n'en feraient plus qu'une; - un rêve qui n'a rien d'original, après tout, si ce n'est que, rêvé par tous les hommes, il n'a  été réalisé par aucun. "
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" L'ivresse de l'Art est plus apte que toute autre à voiler les terreurs du gouffre. "

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" Il y trouve quelque chose approchant cette profondeur de sentiment compliqué, dans les yeux larmoyants des chiens qu'on fouette. "

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" Le plus irréparable des vices est de faire le mal par bêtise. "

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" Les douleurs les plus terribles sont les douleurs muettes. "


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" Je ne suis jamais bien nulle part, et je crois toujours que je serais mieux ailleurs que là où je suis. "

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" Il y avait dans son œil et dans son front ce je ne sais quoi de précocement fatal. "

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" Il y a des femmes qui inspirent l'envie de les vaincre et de jouir d'elles; mais Celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard. "

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" N'importe où ! N'importe où ! Pourvu que ce soir hors du monde ! "


samedi 12 avril 2014

Le Chevalier de la Charrette, Chrétien de Troyes


" Je ne sais dire qui me hait le plus, ou la Vie qui me désire ou la Mort qui se refuse à moi. L'une et l'autre me tuent à leur manière. "

vendredi 11 avril 2014

Les Mots, Jean-Paul Sartre

« Elle avait raison : un enfant gâté n'est pas triste ; il s'ennuie comme un roi.
Comme un chien.
Je suis un chien : je bâille, les larmes roulent, je les sens rouler. Je suis un arbre, le vent s'accroche à mes branches et les agite vaguement. Je suis une mouche, je grimpe le long d'une vitre, je dégringole, je recommence à grimper. Quelquefois, je sens la caresse du temps qui passe, d'autres fois - le plus souvent – je le sens qui ne passe pas. De tremblantes minutes s'affalent, m'engloutissent et n'en finissent pas d'agoniser ; croupies mais encore vives, on les balaye, d'autres les remplacent, plus fraîches, tout aussi vaines ; ces dégoûts s'appellent le bonheur ; ma mère me répète que je suis le plus heureux des petits garçons. Comment ne la croirais-je pas puisque c'est vrai ? A mon délaissement je ne pense jamais ; d'abord il n'y a pas de mot pour le nommer ; et puis je ne le vois pas : on ne cesse pas de m'entourer. C'est la trame de ma vie, l'étoffe de mes plaisirs, la chair de mes pensées. Je vis la mort. »


« Décéder, ce n'était pas mourir »



« Il y avait un envers horrible des choses, quand on perdait la raison, on le voyait, mourir c'était pousser la folie à l'extrême et s'y engloutir. Je vécus dans la terreur, ce fut une authentique névrose. Si j'en cherche la raison, il vient ceci : enfant gâté, don providentiel, ma profonde inutilité m'était d'autant plus manifeste que le rituel familial me paraît constamment d'une nécessité forgée. Je me sentais de trop, donc il fallait disparaître. J'étais un épanouissement fade en instance perpétuelle d'abolition. En d'autres termes, j'étais condamné, d'une seconde à l'autre on pouvait appliquer la sentence. Je la refusais, pourtant, de toutes mes forces, non que mon existence me fût chère mais, tout au contraire, parce que je n'y tenais pas : plus absurde est la vie, moins supportable la mort. »

« Confiance et désolation faisaient de mon âme un terrain de choix pour y semer le Ciel. »


« J'avais la larme facile et le cœur dur. »


« J'avais rencontré mes vrais juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence me condamnait. »


« Soyez complaisant à vous-même, les autres complaisants vous aimeront ; déchirez votre voisin, les autres voisins riront. Mais si vous battez votre âme, toutes les âmes crieront. »


« Je dresserais des cathédrales de paroles sous l'oeil bleu du mot ciel.
Je bâtirais pour des millénaires. Quand je prenais un livre, j'avais beau l'ouvrir et le fermer vingt fois, je voyais bien qu'il ne s'altérait pas. Glissant sur cette substance incorruptible : le texte, mon regard n'était qu'un minuscule accident de surface, il ne dérangeait rien, n'usait pas. Moi, par contre, passif, éphémère, j'étais un moustique ébloui, traversé par les feux d'un phare ; je quittais le bureau, j'éteignais : invisible dans les ténèbres, le livre étincelait toujours ; pour lui seul. Je donnerais à mes ouvrages la violence de ces jets de lumière corrosifs, et, plus tard, dans les bibliothèques en ruine, ils survivraient à l'homme. (…) En attendant je me séquestrais par anticipation. »


« Louise l'avait prévenue contre la vie conjugale : après des noces de sang, c'était une suite infinie de sacrifices, coupée de trivialités nocturnes. »
« Elle devint la négation pure »
« Je plongeais dans un monde confus, peuplé d'hallucinations simples et de frustres idoles. »
« Une vierge avec tâche »

« Il n'y a pas de bon père, c'est la règle ; qu'on n'en tienne pas grief aux hommes mais au lien de paternité qui est pourri »
« Ce n'est pas tout de mourir : il faut mourir à temps »
« Il a aimé, pourtant, il a voulu vivre, il s'est vu mourir ; cela suffit pour faire tout un homme »
 « Ce sont des peines d'amour perdue. Ce père n'est pas même une ombre, pas même un regard. (…) Plutôt que le fils d'un mort, on m'a fait entendre que j'étais l'enfant du miracle. (…) On ne m'a pas appris l'obéissance. »
« J'étais trop soucieux d'écouter pour entendre. »
« Jamais le caprice d'un autre ne s'était prétendu ma loi »
« On m'adore, donc je suis adorable. »
« Tous les enfants sont des miroirs de mort »
« A défaut d'enfant, qu'on prenne un caniche »
« Quand on aime trop les enfants et les bêtes, on les aime contre les hommes »
« Je n'ai pas de droit puisque l'amour me comble : je n'ai pas de devoir puisque je donne par amour »
« J'ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres »

« J'ai confondu le désordre de mes expériences livresques avec le cours hasardeux des évènements réels. De là vint cet idéalisme dont j'ai mis trente ans à me défaire. »

« Je suis homme et rien d'humain ne m'est étranger »
« Tout homme a son lieu naturel ; ni l'orgueil ni la valeur n'en fixent l'altitude : l'enfance décide »
« On finit par entendre des voix et l'on écrit sous la dictée »
« Et puis, j'étais vivant, moi, et fort actif : je ne savais pas encore tronçonner les morts mais je leur imposais mes caprices : je les prenais dans mes bras, je les portais, je les déposais sur le parquet, je les ouvrais, je les refermais, je les tirais du néant pour les y replonger : c'étaient mes poupées, ces hommes-troncs, et j'avais pitié de cette misérable survie paralysée qu'on appelait leur immortalité. »

« Le langage est désenchanté »
« Je retrouvai sans ennui ma solitude : j'aimais mon mal. »
« On pouvait naître condamné ? En ce cas on m'avait menti : l'ordre du monde cachait d'intolérables désordres »
« Ma vérité, mon caractère et mon nom étaient aux mains des adultes ; j'avais appris à me voir par leurs yeux ; j'étais un enfant, ce monstre qu'ils fabriquent avec leurs regrets. »

« La Vérité et la Fable sont une même chose »
« Je confondais mon corps et son malaise : des deux, je ne savais plus lequel était indésirable. »
« C'étaient des êtres. Pas moi: je n'en avais ni l'inertie ni la profondeur ni l'impénétrabilité. J'étais rien : une transparence ineffaçable. »
« Sa place : un néant creusé par l'attente universelle, un ventre invisible d'où, brusquement, il semblait qu'on pût renaître. »

jeudi 10 avril 2014

PROUST, Du côté de chez Swann - Combray

 
" Si on a la sensation d'être toujours entouré de son âme, ce n'est pas comme d'une prison immobile; plutôt on est comme emporté avec elle dans un perpétuel élan pour la dépasser, pour atteindre à l'extérieur, avec une sorte de découragement, entendant toujours autour de soi cette sonorité identique qui n'est pas écho du dehors mais retentissement d'une vibration interne. On cherche à retrouver dans les choses, devenues par là précieuses, le reflet que notre âme a projeté sur elles, on est déçu en constatant qu'elles semblent dépourvues dans la nature, du charme qu'elles devaient, dans notre pensée, au voisinage de certaines idées; parfois on convertit toutes les forces de cette âme en habileté, en splendeur pour agir sur des êtres dont nous sentons bien qu'ils sont situés en dehors de nous et que nous ne les atteindrons jamais. "

" (ainsi notre cœur change, dans la vie, et c'est la pire douleur; mais nous ne la connaissons que dans la lecture, en imagination : dans la réalité il change, comme certains phénomènes de la nature se produisent, assez lentement pour que, si nous pouvons constater successivement chacun de ses états différents, en revanche la sensation même du changement nous soit épargnée.) 
 
 

vendredi 4 avril 2014

Vers le phare, Virginia WOOLF

 
« Les nuits à présent sont pleines de vent et de saccage ; les arbres plongent et se courbent et leurs feuillages tourbillonnent pêle-mêle avant de tapisser la pelouse, de s'entasser dans les chéneaux, d'engorger les conduits et de joncher les sentiers détrempés. La mer aussi se soulève et se brise, et si quelque dormeur, imaginant trouver sur la plage, qui sait, une réponse à ses doutes, un compagnon de solitude, rejette ses draps et descend marcher seul sur le sable, aucune image d'apparence secourable et divinement empressée ne se présente aussitôt à lui pour restaurer l'ordre dans la nuit et amener le monde à refléter le champ de l'âme. La main s'amenuise dans sa main ; la voix mugit à son oreille. Pour un peu il semblerait inutile au milieu d'une telle confusion de poser à la nuit ces questions sur le quoi, le pourquoi et pour quelle raison, qui incitent le dormeur à déserter son lit pour chercher une réponse.
     [Mr Ramsay, titubant le long d'un couloir, tendit les bras un matin sombre, mais, Mrs Ramsay étant morte assez soudainement la nuit précédente, il tendit les bras. Ils restèrent vides.]
 

jeudi 3 avril 2014

El Desdichado, Gérard de Nerval

 
Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule
Etoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le
Soleil noir de la Mélancolie.
 
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La
fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.
 
Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène...
 
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.



mercredi 2 avril 2014

Pour un Tombeau d'Anatole, f.161-162, Stéphane Mallarmé


« Oh ! tu sais bien
que si je consens 
à vivre -à paraître 
t’oublier- 
c’est pour 
nourrir ma douleur 
– et que cet oubli 
apparent 
        jaillisse plus 
vif en larmes, à 
un moment 
    quelconque, au 
     milieu de cette 
     vie, quand tu 
     m’y apparais » 


mardi 1 avril 2014

La Ligne Rouge, Terence Malick


« Nous, ensemble, un seul être, confondus comme l'eau qui coule, je ne te distingue plus de moi. (Je te bois. Tu es ma lumière.)

lundi 31 mars 2014

Epitaphe pour une petite fille morte, Giovanni PONTANO

 
« Ce sépulcre, mon enfant,
te recouvre ;
la cendre ne peut rien avoir de sensible.
Pourtant si de toi survit quelque part,
reconnais, mon enfant
Que tu étais heureuse,
quand la première jeunesse te ravit.
Pour nous, nous traînerons notre vie
dans le deuil et les ténèbres :
Voilà le prix, ma fille,
que j'ai semé à ma paternité. »
 

dimanche 30 mars 2014

L'écriture du Désastre, Maurice Blanchot (2)


(Une scène primitive ?) Vous qui vivez plus tard, proches d'un cœur qui ne bat plus, supposez, supposez-le : l'enfant - a-t-il sept ans, huit ans peut-être ? - debout, écartant le rideau et, à travers la vitre, regardant. Ce qu'il voit, le jardin, les arbres d'hiver, le mur d'une maison : tandis qu'il voit, sans doute à la manière d'un enfant, son espace de jeu, il se lasse et lentement regarde en haut vers le ciel ordinaire, avec les nuages, la lumière grise, le jour terne et sans lointain.
     Ce qui se passe ensuite : le ciel, le même ciel, soudain ouvert, noir absolument et vide absolument, révélant (comme par la vitre brisée) une telle absence que tout s'y est depuis toujours et à jamais perdu, au point que s'y affirme et s'y dissipe le savoir vertigineux que rien est ce qu'il y a, et d'abord rien au-delà. L'inattendu de cette scène (son trait interminable), c'est le sentiment de bonheur qui aussitôt submerge l'enfant, la joie ravageante dont il ne pourra témoigner que par les larmes, un ruissellement sans fin de larmes. On croit à un chagrin d'enfant, on cherche à le consoler. Il ne dit rien. Il vivra désormais dans le secret. Il ne pleurera plus.

samedi 29 mars 2014

Leçons, Philippe Jaccottet

Sinon le premier coup, c’est le premier éclat
de la douleur : que soit ainsi jeté bas
le maître, la semence,
que le bon maître soit ainsi châtié,
qu’il semble faible enfançon
dans le lit de nouveau trop grand,
enfant sans le secours des pleurs,
sans secours où qu’il se tourne,
acculé, cloué, vidé.

Il ne pèse presque plus.

La terre qui nous portait tremble.

vendredi 28 mars 2014

Saint-Evremond



" A parler de bon sens, toutes les circonstances de la mort ne regardent que ceux qui restent. "


jeudi 27 mars 2014

L'écriture du Désastre, Maurice Blanchot (1)

« Si le désastre signifie être séparé de l’étoile (le déclin qui marque l’égarement lorsque s’est interrompu le rapport avec le hasard d’en haut), il indique la chute sous la nécessité désastreuse. La loi serait-elle le désastre, la loi suprême ou extrême, l’excessif de la loi non codifiable : ce à quoi nous sommes destinés sans être concernés ? Le désastre ne nous regarde pas, il est l’illimité sans regard, ce qui ne peut se mesurer en terme d’échec ni comme la perte pure et simple.
Rien ne suffit au désastre ; ce qui veut dire que, de même que la destruction dans sa pureté de ruine ne lui convient pas, de même l’idée de totalité ne saurait marquer ses limites : toutes choses atteintes et détruites, les dieux et les hommes reconduits à l’absence, le néant à la place de tout, c’est trop et trop peu." 

mercredi 26 mars 2014

L'Innommable, Samuel Beckett

" ... je ne sais pas, c’est un rêve, c’est peut-être un rêve, ça m’étonnerait, je vais me réveiller, dans le silence, ne plus m’endormir, ce sera moi, ou rêver encore, rêver un silence, un silence de rêve, plein de murmures, je ne sais pas, ce sont des mots, ne jamais me réveiller, ce sont des mots, il n’y a que ça, il faut continuer, c’est tout ce que je sais, ils vont s’arrêter, je connais ça, je les sens qui me lâchent, ce sera le silence, un petit moment, un bon moment, ou ce sera le mien, celui qui dure, qui n’a pas duré, qui dure toujours, ce sera moi, il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire..."

mardi 25 mars 2014

La vie de Rancé, Chateaubriand



" Je ne suis plus que le temps "



lundi 24 mars 2014

Soleil Noir, Julia Kristeva

« Écrire sur la mélancolie n'aurait de sens, pour ceux que la mélancolie ravage, que si l'écrit venait de la mélancolie. J'essaie de vous parler d'un gouffre de tristesse, douleur incommunicable qui nous absorbe parfois, et souvent durablement, jusqu'à nous faire perdre le goût de toute parole, de tout acte, le goût même de la vie. Ce désespoir n'est pas un dégoût qui supposerait que je sois capable de désir et de création, négatifs certes, mais existants. Dans la dépression, si mon existence est prête à basculer, son non-sens n'est pas tragique : il m'apparaît évident, éclatant et inéluctable.
(...)
La liste est infinie des malheurs qui nous accablent tous les jours... Tout ceci me donne brusquement une autre vie. Une vie invivable, chargée de peines quotidiennes, de larmes avalées ou versées, de désespoir sans partage, parfois brûlant, parfois incolore et vide. Une existence dévitalisée, en somme, qui, quoique parfois exaltée par l'effort que je fais pour la continuer, est prête à basculer à chaque instant dans la mort. Mort vengeance ou mort délivrance, elle est désormais le seuil interne de mon accablement, le sens impossible de cette vie dont le fardeau me paraît à chaque instant intenable, hormis les moments où je me mobilise pour faire face au désastre. Je vis une mort vivante, chair coupée, saignante, cadavérisée, rythme ralenti ou suspendu, temps effacé ou boursoufflé, résorbé dans la peine... Absente du sens des autres, étrangère, accidentelle au bonheur naïf, je tiens de ma déprime une lucidité suprême, métaphysique. Aux frontières de la vie et de la mort, j'ai parfois le sentiment orgueilleux d'être le témoin du non-sens de l’Être, de révéler l'absurdité des liens et des êtres."

dimanche 19 janvier 2014

Cancer 6

Il est 3h47.
Je me suis couchée vers 21h et je me suis réveillée vers 1h10.
J’ai dormi d’une traite. Quatre petites heures de sommeil et me voilà comme de nouveau prête à l’insomnie.
Je me tourne et me retourne dans le lit depuis 1h10. Hicham s’est endormi vers 3h15. Il ronfle très fort.

Cet après-midi, c’était « grande réunion de famille ». Il y a « de très fortes probabilités » pour que ma mère ait un cancer. Elle aussi. Une tache minuscule au fond de l’utérus découverte avant-hier lors de son exploration pelvienne.

Dans le métro, j’ai eu envie de pleurer, descendre à n’importe quelle station et ne pas aller chez mes parents. L’impression épouvantable de perdre de façon imminente tout ce à quoi je tiens le plus profondément. Le désarroi de ne plus avoir de refuge nulle part.
De nouveau la solitude la plus complète, et qui se fait d’autant plus ressentir dans les lieux publics, qui sont bondés d’étrangers qui, eux, vivent encore.

Quand je regarde dehors, je vois plein de souvenirs. Et quand je me remémore ces souvenirs, j’ai envie de fuir les lieux qui les provoquent. On ne pense jamais aux bons moments que l’on vit. On ne pense jamais qu’un jour ils seront des souvenirs qui nous rendront la vie des plus insupportables.
Je pense alors que j’ai de la chance de ne pas avoir voyagé. Je pourrai fuir partout, aller partout ou presque, loin de Lyon, Saint-Etienne, Paris, Annecy et Reims. Partout, je n’aurai pas ces surgissements imprévisibles de souvenirs qui me tiraillent.

Avant que je ne me réveille, j’étais en train de rêver.
J’étais à l’hôpital avec Hicham et je remplissais pour lui, à sa place, un formulaire ou un quelconque questionnaire. Puis il a disparu du rêve et une infirmière ( ? ) m’a emmenée dans un box à côté de la salle dans laquelle on était.
Il y avait un chien, très maigre, blanc ou beige, abricot, sur une table de vétérinaire. L’infirmière me dit qu’il était en train de mourir et que sa maîtresse ne pouvait pas être là, qu’il serait bon alors que je la remplace pour être auprès de ce chien, petit et maigre, que je le rassurerais pendant cette épreuve.
Incrédule, je me suis mise à caresser la tête du chien qui s’est relevé et est venu se blottir contre moi, la tête dans le creux de ma paume. Il allait mourir dans mes bras.
Je me suis réveillée.

Je vois encore la joie dans les yeux du chien, et les larmes dans les miens.

Tout à l’heure, quand je ne voulais pas aller chez mes parents, ça m’a fait la même chose au retour. Je ne voulais pas rentrer chez moi. J’aurais eu envie de marcher quelque part, sans autre but que celui de fuir, fuir juste un moment, juste un peu, juste assez pour reprendre des forces.

Dehors, des sirènes retentissent toujours, par intervalles. La lumières bleue des gyrophares se reflètent sur les façades de l’immeuble d’en face. C’est çà, se trouver sur la route des hôpitaux.

Maintenant, j’en suis convaincue, plus rien ne sera jamais comme avant.
Quand je pense à la tristesse de mon père si jamais, elle me broie.