mardi 28 avril 2009

Le poids d'un soldat mort

6h38



La soirée était lourde comme le poids d’un soldat mort. Quelque chose s’est rompu. Je lui ai fait du mal et ce sont pourtant mes larmes qui n’en finirent pas de couler, celles d’une culpabilité croissante, d’une brisure à demi qui aurait pu être totale. J’ai eu peur, fallait-il bien que cela arrive pour que j’accepte de comprendre, ou plutôt d’acccepter. Accepter que sa présence soit un véritable choix, non un par défaut en attendant mieux, que le moi n’est plus seul à combattre.
Je me suis achevé. Mes yeux ce matin portent la marque du remord, je ne sais si j’oserai encore lui dire que je l’aime. J’écris et les larmes reviennent souiller mon visage. De mon fait, pour ne pas dire à cause de moi, ce matin une page n’existe plus. Un bien que je lui enlève, un morceau de nous qui part. Je suis vide dans la tête, le cœur trop plein de honte, le corps ne tenant plus qu’à un fil. La fatigue est là, bien là toute autour et à l’intérieur. J’aurai aimé que ma vie soit un livre, j’en aurais déchiré cette page, puis brûlé avant de la réécrire. Ce matin j’ai froid, et mon regard est baissé. Comme ma tête, vers ce sol sur lequel je rampe pour mieux ne plus sentir sa douleur, la sienne et celle qui sillonne mon crâne comme le ferait le plus dissonant orchestre. J’avais voulu ne plus poser mot mais seule face à moi-même ils restent encore ma seule échappatoire. Rentrer en soi pour mieux en sortir, lutter contre la brûlure que nous infligent nos yeux et attendre de se remplir de nouveau, petit à petit, en changeant juste un peu la trajectoire. Je ne trouve rien à vouloir dire, j’aimerai seulement disparaître un peu plus, m’enfoncer davantage dans ma connerie et m’en vouloir, toujours, flagellation du corps pour une rédemption de l’âme, on ne revient pas en arrière.
Il faut continuer à avancer, avoir l’arrogance de soutenir encore un regard, le sien, que je sais avoir blessé. Cette page est une page de remords qui n’effacera rien du mal commis. J’ai gardé en moi la trace du passage de son corps dans le mien, toute cette nuit, comme pour retenir encore une chose, une seule et dernière chose tant je nous croyais finis.
Je vois mon reflet sur la fenêtre, ni plus ni moins que la représentation faussée d’une loque qui tape sur un clavier. Libérer de je ne sais quel mal, celui d’en avoir fait, uniquement, celui de la peur d’en refaire un jour et de perdre ma seule raison de tenir debout, de vouloir tenir debout dans toute cette insignifiance. Je viens, je crois, de mettre au jour toute ma splendeur, terne, pesante, blessante, humiliante. Je ne sais comment conclure, je n’ai ce matin plus la force de fixer l’écran.

mercredi 8 avril 2009

Elle. Haine.

Je ne sais avec quel sourire prendre ces derniers mots d’une autre qui n’est pas moi.

Je ne sais pourquoi la race humaine s’acharne ainsi sur les possibles d’hier qui lui ont été enlevés. Je ne sais pour quelle raison j’écris ces phrases.
Aimer un homme. Sa vie, son passé, accepter ces lendemains lors desquelles nous n’étions pas, se vivre dans le présent, à chaque seconde plus pleinement qu’à l’instant précédent et par moments voir resurgir une part de cet inconnu dont on regrette et envie l’absence.
Retour en arrière pour lui, reprise des armes pour moi, bien malgré la volonté de l’un et l’autre, rester passif devant ce resurgissement de l’impalpable, de l’inimaginable, du temps regretté à ne pas avoir été là, avant, pour ne pas que d’autres viennent baiser ces lèvres et serrer ce corps.
    Depuis peu, chaque parole prononcée est acte d’amour, chaque regard, chaque silence, tant et tant que je ne fais plus que deviner aujourd’hui ce qu’est faire l’amour, je le vis, encore et encore, de la naissance du désir à l’assouvissement total du plaisir, des corps et des cœurs…  Faire l’amour avec l’homme qu’on aime et devoir sans s’en être préparé faire face à un retour d’autre, d’une autre en cet instant, une autre que j’aurai pris plaisir à faire pleurer cette nuit encore, une autre que le temps et ma réflexion épargnent, après avoir pensé des phrases toutes écrites à l’avance, celle d’une femme qui jamais ne baissera les armes devant qui que se soit pour défendre son essentiel de tout mal, passé ou présent.
    Et pourquoi une telle réaction ? Une simple aberration devant tel acharnement, devant un tel culot et un sans gêne à toute épreuve. Partagée entre le sentiment d’ignorance et celui d’écraser l’insecte avec le pied, en gardant la chaussure pour ne pas que nous salisse son sang. Rester humble par pure compréhension de la folie de l’autre, partage presque irréel de ce même égard, mais l’homme que j’aime est désormais homme d’une femme, pour rien au monde je cèderai ma place. Mélange de fascination, d’admiration, de respect et d’amour, comment ne pas comprendre l’envie qu’il suscite en d’autres ? Comment parler au nom d’un homme méconnu jusqu’alors ? Sait-elle son regard sur lui-même depuis son regard sur moi et le mien sur lui-même ? Sait-elle le sourire qui se lit dans ses yeux lorsque son corps se trouve satisfait et son cœur enfin empli ? Sait-elle ? Que sait-elle d’autre sinon celui qu’il n’est plus ? Etre comme on dit passé avant nous donne-t-il le droit de croire acquis l’être devenu sans elle ?
Si je pouvais seulement visualiser un visage, une image à recadrer, une cible à atteindre pour que son cœur et le mien ne souffrent d’elle et de tous ces autres qui se pensent rattachés à lui par pure connaissance de l’ancien qu’il n’est plus…
Mes mots s’embrouillent, mes doigts frappent le clavier comme s’il était elle, peut-être, voire d’autres, sans raison…
Se permettre de juger du bonheur de quelqu’un, c’est l’égo qui se démesure à force d’entretien d’une lâcheté croissante, d’un dégoût de soi frôlant la médiocrité de son être, d’un irrespect de sa propre personne lorsque l’on dit jouir du plaisir donné par l’un, imaginant d’autres traits, ceux de cet autre, mon autre et sourire bienveillamment, tout en continuant la comédie de la femme aimante, caresser un corps en en voulant un autre, et que puis-je y faire, moi, sinon observer la scène sans avoir droit d’y monter ???   Aller ensuite jusqu’à demander une photo sous le titre de faveur, que lui doit-il pour que toute permission paraisse à ses yeux évidence de l’action ? Une photo, installé en face de moi, ce lui d’aujourd’hui que je veux que jamais elle n’atteigne plus, ni elle ni personne, comment pouvoir encore oser se regarder dans le miroir en se sachant prostituée ? Se marier et faire de l’amour de la baise pure et simple, ultime simulation du jeu de la comédienne, retirer le masque en arrachant la peau, que le monde découvre enfin le visage réel du quasi grotesque que l’on devient après s’être menti sur ses espoirs durant des années…
Le seul. Tant d’ambigüités derrière ces deux seuls mots, tant de feuilles à lui jeter à la gueule, tant d’énervement inutile, juste un besoin de vider ma rancœur et mon vouloir sur papier, qu’enfin sortent ces démons de mon cœur qui ont tant abrutis le sien, endolori jusqu’aux dernières larmes apparentes et toutes celles qui se taisent, par habitude d’avoir pris honte de se laisser aller, et que dois-je dire, sinon remercier cette crasse de lui avoir fait tant de mal, pour qu’en moi un jour il reconnaisse son bonheur, le vrai, celui pour lequel je me lève chaque jour, celui pour lequel je donnerai tout, de moi et d’autres s’il le fallait, comment dire toutes ces choses qui brûlent en moi à sa seule pensée ? Comment justifier ma hargne à la seule imagination d’une autre main que la mienne parcourant son corps, et d’une autre âme touchant son cœur, tout est à moi, je le veux tant, tant je l’aime, le sait-elle, que je ne pose aucune limite à son sourire ? Sait-elle à quel point mes mots comme mes lettres s’emmêlent ? Et que je ne laisserai aucun obstacle à sa joie ? Obsession peut-être, besoin de possession de l’être, jalousie infantile de la femme qui aime à s’en arracher les yeux pour que son indispensable puisse voir le monde, le monde et tous ces faux-semblants, et mon envie injustifiée d’égratigner chaque parcelle de mur qui s’élèverai devant nous...