Je ne sais avec quel sourire prendre ces derniers mots d’une autre qui n’est pas moi.
Je
ne sais pourquoi la race humaine s’acharne ainsi sur les possibles
d’hier qui lui ont été enlevés. Je ne sais pour quelle raison j’écris
ces phrases.
Aimer un homme. Sa vie, son passé, accepter ces lendemains lors
desquelles nous n’étions pas, se vivre dans le présent, à chaque seconde
plus pleinement qu’à l’instant précédent et par moments voir resurgir
une part de cet inconnu dont on regrette et envie l’absence.
Retour en arrière pour lui, reprise des armes pour moi, bien malgré la
volonté de l’un et l’autre, rester passif devant ce resurgissement de
l’impalpable, de l’inimaginable, du temps regretté à ne pas avoir été
là, avant, pour ne pas que d’autres viennent baiser ces lèvres et serrer
ce corps.
Depuis peu, chaque parole prononcée est acte d’amour, chaque regard,
chaque silence, tant et tant que je ne fais plus que deviner
aujourd’hui ce qu’est faire l’amour, je le vis, encore et encore, de la
naissance du désir à l’assouvissement total du plaisir, des corps et des
cœurs… Faire l’amour avec l’homme qu’on aime et devoir sans s’en être
préparé faire face à un retour d’autre, d’une autre en cet instant, une
autre que j’aurai pris plaisir à faire pleurer cette nuit encore, une
autre que le temps et ma réflexion épargnent, après avoir pensé des
phrases toutes écrites à l’avance, celle d’une femme qui jamais ne
baissera les armes devant qui que se soit pour défendre son essentiel de
tout mal, passé ou présent.
Et pourquoi une telle réaction ? Une simple aberration devant tel
acharnement, devant un tel culot et un sans gêne à toute épreuve.
Partagée entre le sentiment d’ignorance et celui d’écraser l’insecte
avec le pied, en gardant la chaussure pour ne pas que nous salisse son
sang. Rester humble par pure compréhension de la folie de l’autre,
partage presque irréel de ce même égard, mais l’homme que j’aime est
désormais homme d’une femme, pour rien au monde je cèderai ma place.
Mélange de fascination, d’admiration, de respect et d’amour, comment ne
pas comprendre l’envie qu’il suscite en d’autres ? Comment parler au nom
d’un homme méconnu jusqu’alors ? Sait-elle son regard sur lui-même
depuis son regard sur moi et le mien sur lui-même ? Sait-elle le sourire
qui se lit dans ses yeux lorsque son corps se trouve satisfait et son
cœur enfin empli ? Sait-elle ? Que sait-elle d’autre sinon celui qu’il
n’est plus ? Etre comme on dit passé avant nous donne-t-il le droit de
croire acquis l’être devenu sans elle ?
Si je pouvais seulement visualiser un visage, une image à recadrer, une
cible à atteindre pour que son cœur et le mien ne souffrent d’elle et de
tous ces autres qui se pensent rattachés à lui par pure connaissance de
l’ancien qu’il n’est plus…
Mes mots s’embrouillent, mes doigts frappent le clavier comme s’il était elle, peut-être, voire d’autres, sans raison…
Se permettre de juger du bonheur de quelqu’un, c’est l’égo qui se
démesure à force d’entretien d’une lâcheté croissante, d’un dégoût de
soi frôlant la médiocrité de son être, d’un irrespect de sa propre
personne lorsque l’on dit jouir du plaisir donné par l’un, imaginant
d’autres traits, ceux de cet autre, mon autre et sourire
bienveillamment, tout en continuant la comédie de la femme aimante,
caresser un corps en en voulant un autre, et que puis-je y faire, moi,
sinon observer la scène sans avoir droit d’y monter ??? Aller ensuite
jusqu’à demander une photo sous le titre de faveur, que lui doit-il pour
que toute permission paraisse à ses yeux évidence de l’action ? Une
photo, installé en face de moi, ce lui d’aujourd’hui que je veux que
jamais elle n’atteigne plus, ni elle ni personne, comment pouvoir encore
oser se regarder dans le miroir en se sachant prostituée ? Se marier et
faire de l’amour de la baise pure et simple, ultime simulation du jeu
de la comédienne, retirer le masque en arrachant la peau, que le monde
découvre enfin le visage réel du quasi grotesque que l’on devient après
s’être menti sur ses espoirs durant des années…
Le seul. Tant d’ambigüités derrière ces deux seuls mots, tant de
feuilles à lui jeter à la gueule, tant d’énervement inutile, juste un
besoin de vider ma rancœur et mon vouloir sur papier, qu’enfin sortent
ces démons de mon cœur qui ont tant abrutis le sien, endolori jusqu’aux
dernières larmes apparentes et toutes celles qui se taisent, par
habitude d’avoir pris honte de se laisser aller, et que dois-je dire,
sinon remercier cette crasse de lui avoir fait tant de mal, pour qu’en
moi un jour il reconnaisse son bonheur, le vrai, celui pour lequel je me
lève chaque jour, celui pour lequel je donnerai tout, de moi et
d’autres s’il le fallait, comment dire toutes ces choses qui brûlent en
moi à sa seule pensée ? Comment justifier ma hargne à la seule
imagination d’une autre main que la mienne parcourant son corps, et
d’une autre âme touchant son cœur, tout est à moi, je le veux tant, tant
je l’aime, le sait-elle, que je ne pose aucune limite à son sourire ?
Sait-elle à quel point mes mots comme mes lettres s’emmêlent ? Et que je
ne laisserai aucun obstacle à sa joie ? Obsession peut-être, besoin de
possession de l’être, jalousie infantile de la femme qui aime à s’en
arracher les yeux pour que son indispensable puisse voir le monde, le
monde et tous ces faux-semblants, et mon envie injustifiée d’égratigner
chaque parcelle de mur qui s’élèverai devant nous...