lundi 31 mars 2014

Epitaphe pour une petite fille morte, Giovanni PONTANO

 
« Ce sépulcre, mon enfant,
te recouvre ;
la cendre ne peut rien avoir de sensible.
Pourtant si de toi survit quelque part,
reconnais, mon enfant
Que tu étais heureuse,
quand la première jeunesse te ravit.
Pour nous, nous traînerons notre vie
dans le deuil et les ténèbres :
Voilà le prix, ma fille,
que j'ai semé à ma paternité. »
 

dimanche 30 mars 2014

L'écriture du Désastre, Maurice Blanchot (2)


(Une scène primitive ?) Vous qui vivez plus tard, proches d'un cœur qui ne bat plus, supposez, supposez-le : l'enfant - a-t-il sept ans, huit ans peut-être ? - debout, écartant le rideau et, à travers la vitre, regardant. Ce qu'il voit, le jardin, les arbres d'hiver, le mur d'une maison : tandis qu'il voit, sans doute à la manière d'un enfant, son espace de jeu, il se lasse et lentement regarde en haut vers le ciel ordinaire, avec les nuages, la lumière grise, le jour terne et sans lointain.
     Ce qui se passe ensuite : le ciel, le même ciel, soudain ouvert, noir absolument et vide absolument, révélant (comme par la vitre brisée) une telle absence que tout s'y est depuis toujours et à jamais perdu, au point que s'y affirme et s'y dissipe le savoir vertigineux que rien est ce qu'il y a, et d'abord rien au-delà. L'inattendu de cette scène (son trait interminable), c'est le sentiment de bonheur qui aussitôt submerge l'enfant, la joie ravageante dont il ne pourra témoigner que par les larmes, un ruissellement sans fin de larmes. On croit à un chagrin d'enfant, on cherche à le consoler. Il ne dit rien. Il vivra désormais dans le secret. Il ne pleurera plus.

samedi 29 mars 2014

Leçons, Philippe Jaccottet

Sinon le premier coup, c’est le premier éclat
de la douleur : que soit ainsi jeté bas
le maître, la semence,
que le bon maître soit ainsi châtié,
qu’il semble faible enfançon
dans le lit de nouveau trop grand,
enfant sans le secours des pleurs,
sans secours où qu’il se tourne,
acculé, cloué, vidé.

Il ne pèse presque plus.

La terre qui nous portait tremble.

vendredi 28 mars 2014

Saint-Evremond



" A parler de bon sens, toutes les circonstances de la mort ne regardent que ceux qui restent. "


jeudi 27 mars 2014

L'écriture du Désastre, Maurice Blanchot (1)

« Si le désastre signifie être séparé de l’étoile (le déclin qui marque l’égarement lorsque s’est interrompu le rapport avec le hasard d’en haut), il indique la chute sous la nécessité désastreuse. La loi serait-elle le désastre, la loi suprême ou extrême, l’excessif de la loi non codifiable : ce à quoi nous sommes destinés sans être concernés ? Le désastre ne nous regarde pas, il est l’illimité sans regard, ce qui ne peut se mesurer en terme d’échec ni comme la perte pure et simple.
Rien ne suffit au désastre ; ce qui veut dire que, de même que la destruction dans sa pureté de ruine ne lui convient pas, de même l’idée de totalité ne saurait marquer ses limites : toutes choses atteintes et détruites, les dieux et les hommes reconduits à l’absence, le néant à la place de tout, c’est trop et trop peu." 

mercredi 26 mars 2014

L'Innommable, Samuel Beckett

" ... je ne sais pas, c’est un rêve, c’est peut-être un rêve, ça m’étonnerait, je vais me réveiller, dans le silence, ne plus m’endormir, ce sera moi, ou rêver encore, rêver un silence, un silence de rêve, plein de murmures, je ne sais pas, ce sont des mots, ne jamais me réveiller, ce sont des mots, il n’y a que ça, il faut continuer, c’est tout ce que je sais, ils vont s’arrêter, je connais ça, je les sens qui me lâchent, ce sera le silence, un petit moment, un bon moment, ou ce sera le mien, celui qui dure, qui n’a pas duré, qui dure toujours, ce sera moi, il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire..."

mardi 25 mars 2014

La vie de Rancé, Chateaubriand



" Je ne suis plus que le temps "



lundi 24 mars 2014

Soleil Noir, Julia Kristeva

« Écrire sur la mélancolie n'aurait de sens, pour ceux que la mélancolie ravage, que si l'écrit venait de la mélancolie. J'essaie de vous parler d'un gouffre de tristesse, douleur incommunicable qui nous absorbe parfois, et souvent durablement, jusqu'à nous faire perdre le goût de toute parole, de tout acte, le goût même de la vie. Ce désespoir n'est pas un dégoût qui supposerait que je sois capable de désir et de création, négatifs certes, mais existants. Dans la dépression, si mon existence est prête à basculer, son non-sens n'est pas tragique : il m'apparaît évident, éclatant et inéluctable.
(...)
La liste est infinie des malheurs qui nous accablent tous les jours... Tout ceci me donne brusquement une autre vie. Une vie invivable, chargée de peines quotidiennes, de larmes avalées ou versées, de désespoir sans partage, parfois brûlant, parfois incolore et vide. Une existence dévitalisée, en somme, qui, quoique parfois exaltée par l'effort que je fais pour la continuer, est prête à basculer à chaque instant dans la mort. Mort vengeance ou mort délivrance, elle est désormais le seuil interne de mon accablement, le sens impossible de cette vie dont le fardeau me paraît à chaque instant intenable, hormis les moments où je me mobilise pour faire face au désastre. Je vis une mort vivante, chair coupée, saignante, cadavérisée, rythme ralenti ou suspendu, temps effacé ou boursoufflé, résorbé dans la peine... Absente du sens des autres, étrangère, accidentelle au bonheur naïf, je tiens de ma déprime une lucidité suprême, métaphysique. Aux frontières de la vie et de la mort, j'ai parfois le sentiment orgueilleux d'être le témoin du non-sens de l’Être, de révéler l'absurdité des liens et des êtres."