Tout est mort.
Avec eux.
Il ne reste rien.
Mon père a refait sa vie avec une femme
de trente ans plus jeune, la meilleure amie de ma sœur aînée, seulement six
mois après la mort de Maman.
Il ne viendra pas me voir pendant les
vacances. Prétextant des travaux à réaliser de toute urgence dans l’appartement
de Betty. Tout pour lui tourne autour d’elle désormais. Et pourtant au
téléphone, avec moi, jamais il n’ose prononcer son prénom. Jamais. Il sait ce
que j’en pense.
Tout le monde à Lyon était au courant
depuis le début. Moi j’ai reçu mon père l’été dernier, sans savoir, alors qu’ils
étaient déjà ensemble depuis près de quatre mois.
A Noël, c’était la mascarade de trop. Chez
ma sœur aînée, ils étaient tous là autour de moi, à savoir, ils ont fait
semblant. Betty a offert une gourmette en argent à mon père. J’ai su. L’après-midi
j’ai regardé les sms dans le portable de mon père. Des déclarations enflammées.
Des je t’aime. A gerber. Tous étaient au courant. Sauf moi. Parce que je suis
veuve aussi. Parce que cela m’est impensable. Parce que je suis loin et qu’on
peut donc tout me cacher.
Mais je l’ai su.
J’ai alors attendu. Qu’il m’en parle.
Mais non. Pas le courage. Evidemment. Après 40 ans de vie commune, remplacer ma
mère au bout de six mois seulement. Pas le courage. Trop honte peut-être.
Je suis rentrée à Belfort. Et pour la
nouvelle année j’ai tout déballé au téléphone. Il allait me le dire. Bien sûr que
non. Trop lâche.
Aujourd’hui j’attendais qu’il m’annonce
sa venue pour l’été. Mais là encore, c’était rêver. Il préfère rester avec
elle. Et moi, mes larmes, mes manques, mes nuits blanches, qu’importe ? Je
suis loin. Très loin. Trop loin.
Parfois j’aimerais l’être plus encore.
Seul mon chat me retient.
J’ai une voiture et je n’ose pas la
conduire de peur de me perdre, j’ai une trop grande conscience des risques.
Mais à part mon chat, qui souffrira de mon absence ?
Personne.
Bien trop occupés à vivre.
Moi j’ai l’impression d’avoir déjà tout
vécu. Que ma vie est résolument derrière moi. L’amour de ma vie, ma famille, la
maladie, la mort. Et que je ne fais qu’attendre de pouvoir tout quitter à mon
tour.
La Bretagne ne me tient plus debout. Je
n’ai plus aucun rêve. Je reste chez moi, allongée sur mon lit et j’attends que
les heures passent. Parfois j’arrive à dormir. Le plus souvent je regarde le
plafond et je revois le corps de ma mère se soulever à chacune de ses
inspirations, un tube dans la gorge, la veille de sa mort. Et quand ce ne sont
pas ces images que je vois, je me revois en salle des profs, un vendredi, le
portable à la main, mon beau-frère au bout du fil, me dire « c’est fini ».
Et m’effondrer.
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